La Coalition européenne pour le contrôle de la pêche se félicite de la décision de la Commission d’ouvrir une procédure d’infraction contre la France pour défaut de contrôle de sa flotte de pêche internationale, et appelle le Conseil à ne pas légaliser les déclarations de capture erronées.
Le mercredi 9 juin, la Commission Européenne a annoncé le lancement d’une procédure d’infraction à l’encontre de la France, concernant le respect par sa flotte des règles de l’UE visant à lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) et à contrôler les activités de pêche. Plus précisément, la Commission a indiqué que “la France n’a pas assuré le suivi et le contrôle de la flotte de pêche extérieure française et l’application des règles relatives à la déclaration des captures, à savoir la “marge de tolérance” de 10 % par espèce et la présentation des notes de vente dans les 48 heures suivant la première vente, ainsi que des journaux de bord et des déclarations de débarquement”.
La marge de tolérance (MdT) mentionnée dans la procédure d’infraction est un élément clé du règlement européen relatif au contrôle de la pêche, qui est actuellement en cours de révision. En effet, ce règlement de contrôle fixe des règles pour le comptage des poissons capturés par les navires de l’UE, afin de garantir le respect des limites de capture et de s’assurer que le poisson pêché illégalement n’entre pas sur le marché. Pour ce faire, le système s’appuie sur deux chiffres :
- L’estimation en mer des quantités capturées. Ce chiffre est une estimation des quantités de poisson à bord de son navire enregistrée par le capitaine dans son journal de bord. Comme il n’est pas toujours possible d’estimer avec précision le poids du poisson à bord, le capitaine dispose d’une marge de tolérance de 10 % par espèce. Le dépassement de la marge de tolérance de 10 % constitue une infraction grave et peut entraîner des sanctions telles que des amendes, des points de pénalité ou, éventuellement, la suspension de la licence de pêche. Les estimations du journal de bord sont transmises régulièrement aux autorités de contrôle de la pêche de l’État membre afin de surveiller le respect des limites de capture en temps quasi réel et peuvent servir de base à une décision de fermeture d’une pêcherie si ces limites sont atteintes ;
- La pesée des captures au débarquement. Après l’enregistrement des estimations de capture dans le journal de bord, le poisson est théoriquement pesé au débarquement et ce chiffre plus précis est ensuite utilisé pour calculer les captures finales dans la déclaration de débarquement. Il est également utilisé par les scientifiques pour leurs évaluations des stocks de poisson, sur la base desquelles les décideurs prennent leurs décisions en matière de quotas. Il faut cependant noter que la plupart des déclarations de débarquement sont remplies sans la présence d’inspecteurs pour vérifier que le poids enregistré est correct.
Les chiffres issus de la pesée ne sont donc pas toujours fiables, comme en témoignent deux procédures d’infraction récemment ouvertes par la Commission à l’encontre de la Belgique et des Pays-Bas pour des problèmes liés à leur système de pesée. Souvent, c’est l’estimation figurant dans le journal de bord qui finit par être le seul chiffre utilisé tout au long de la chaîne d’approvisionnement et à des fins de contrôle. En l’absence de systèmes fiables de pesée au débarquement, il est donc essentiel que les estimations figurant dans le journal de bord soient aussi proches de la réalité que possible.
Dérogation illégale pour la flotte thonière française
La règle des 10 % de tolérance par espèce a été introduite en 2009 et a été un élément clé permettant la reconstitution des stocks de poissons européens au cours de la dernière décennie. Cette règle n’a toutefois jamais été appliquée par l’industrie thonière française opérant dans l’océan Indien. Au lieu d’appliquer une marge de tolérance de 10 % par espèce, ils ont décidé d’utiliser une marge de tolérance de 10 % pour toutes les captures à bord du navire de pêche. Il existe des limites de capture pour le thon albacore dans l’océan Indien, un stock surpêché en situation critique. La décision d’autoriser une marge de tolérance de 10 % sur le total des captures peut permettre aux navires de sous-déclarer le thon albacore et de déclarer davantage de captures d’autres espèces de thon.
Cette pratique de l’industrie thonière a été autorisée par le gouvernement français par le biais d’une circulaire adoptée en 2015. Cette circulaire est illégale, car rien dans les règles européennes actuelles ne permet à un État membre d’accorder une telle dérogation à son industrie.
Réforme du règlement européen sur le contrôle de la pêche et vote du Parlement.
En 2018, la Commission Européenne a décidé de réformer le règlement de l’UE sur le contrôle de la pêche. Elle n’a suggéré aucune modification des règles concernant la marge de tolérance, mais a imposé des règles plus strictes concernant la pesée au débarquement. Le Parlement Européen a adopté sa position sur ce dossier en mars et les ministres de la pêche de l’UE devraient quant à eux se prononcer le 28 juin.
Avant le vote du Parlement Européen, le gouvernement français lui-même et son industrie du thon tropical ont exercé une forte pression sur les eurodéputés pour faire adopter un amendement qui légaliserait une marge de tolérance de 10 % pour toutes les captures à bord pour les thoniers français, par opposition à la marge de tolérance actuelle de 10 % par espèce. Des déclarations publiques et des lettres de plaidoyer demandant aux eurodéputés de modifier les règles actuelles dans le sens de la circulaire française (illégale) de 2015 ont été diffusées, et au final, le vote en plénière du Parlement européen a permis d’adopter cet amendement.
Les ministres des États membres voteront le 28 juin
Les États membres négocient actuellement leur position sur la marge de tolérance. La dernière proposition permettrait de passer de 10 % par espèce à 10 % pour le total des captures pour les pêcheries suivantes :
- Les petits pélagiques qui sont débarqués sans être triés (tels que le hareng, le maquereau, l’anchois ou la sardine);
- les pêcheries à des fins industrielles (comme le sprat ou le hareng);
- les pêcheries qui ciblent des espèces morphologiquement similaires (comme les jeunes spécimens d’albacore et de thon obèse, selon certains rapports scientifiques);
- les pêcheries mixtes qui sont débarquées sans être triées (comme le thon).
Il convient de noter que ces dispositions excluraient la plupart des pêcheries de stocks de poissons démersaux (vivant près ou sur les fonds marins) qui utilisent des chaluts, ce qui compromettrait l’égalité de traitement pour les pêcheurs des États membres disposant d’une importante flotte de chaluts.
Si cette mesure est adoptée, les captures de certaines espèces de poissons pourraient être largement sous-déclarées. Cela compromettrait la fiabilité des données scientifiques permettant d’évaluer l’état des stocks de poisson et rendrait inefficaces les efforts de contrôle de la pêche.
Pour les pêcheries de thon, et en particulier pour la France et l’Espagne, cette proposition pourrait entraîner une sous-déclaration importante de leurs captures et menacer non seulement la durabilité de stocks déjà en mauvais état, mais aussi la sécurité alimentaire des communautés locales en Afrique occidentale et dans l’océan Indien.
Appel aux ministres avant le vote de juin
La Coalition européenne pour le contrôle de la pêche se félicite donc de la décision de la Commission de prendre des mesures contre la dérogation illégale accordée par la France à son industrie et appelle les décideurs européens à ne pas légaliser la sous-déclaration des captures et à maintenir une marge de tolérance de 10% par espèce lors de la révision du règlement contrôle. Si la marge de tolérance était augmentée, cela mettrait à mal tous les efforts déployés par l’UE et son industrie au cours de la dernière décennie pour gérer la pêche de manière durable, ainsi que pour atteindre les objectifs du Pacte Vert européen et de l’Agenda 2030.